A review by leonard_gaya
Le Rouge et le Noir by Stendhal

4.0

Il y a, à l’origine de ce roman, une sombre affaire de crime passionnel, qui fut instruite par la cour d’assises de Grenoble dans les années 1820. Un certain Antoine Berthet, fils d’artisan pauvre et séminariste raté, est pris comme précepteur au service d’une famille bourgeoise. Il séduit la femme de son employeur et, l’affaire tournant à l’aigre, achète une arme à feu puis tire sur sa maîtresse en plein milieu d’une messe. Berthet fut condamné à la guillotine. Rien là, somme toute, qu’un fait divers assez banal, mais qui imprima si fortement l’imagination de Stendhal, qu’il devint la source de l’un des romans sentimentaux majeurs du XIXe siècle français.

Julien Sorel est un avatar de cet Antoine Berthet, une crapule donc, mais une crapule romantique et sublime, un playboy ecclésiastique fasciné par la figure de Bonaparte et plein d’une ambition démesurée. Le Rouge et le Noir, roman en deux parties, raconte les aventures mondaines et amoureuses de ce personnage : d’abord précepteur auprès des enfants de M. de Rênal, maire du village fictif de Verrières, il séduit la maîtresse de maison ; puis, après un passage malheureux (mais savoureux) au séminaire, il se rend à Paris, fréquente l’aristocratie et s’engage dans une nouvelle aventure sentimentale avec Mathilde, la fille extravagante de son employeur, le marquis de La Mole. La fin n’est pas heureuse.

Le livre de Stendhal est non seulement un « roman d’amour », avec ses effleurements subtils, ses rencontres nocturnes, ses échelles sous la fenêtre, ses transports, ses rumeurs, ses scrupules et ses fiertés, ses rejets, ses lettres enflammées, ses jalousies factices ou ses hypocrisies véritables, ses jeux et ses scènes… autrement dit, un roman psychologique. Le Rouge est aussi une peinture du monde (une « chronique du XIXe siècle » comme l’indique le sous-titre du roman) et un livre satirique, avec plusieurs personnages secondaires assez savoureux : l’abbé Pirard, le chevalier de Beauvoisis, le prince Korasoff, l’aguicheuse Amanda, le chanteur Geronimo… Le personnage de Julien, qui les rencontre tous, est, en ce sens, ce « miroir qu’on promène le long d’un chemin » (phrase en épigraphe de I, XIII et dont parle plus en détail le chapitre II, XIX). En vérité, Stendhal promène son miroir — un travelling avant la lettre — de manière fluide, sur les chemins et dans les cœurs, et sa peinture de la bourgeoise de province ou des coteries parisiennes de la Restauration, est souvent digne (dans les formules mêmes) des sentences et aphorismes des moralistes du Grand Siècle.